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1 April 2004
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 Strasbourg perdra-t-elle son CanalettoÝ?

 
La vue de la Salute depuis l'entrée du Grand Canal par Canaletto reste pour l'instant visible (ici à droite) au musée des beaux-arts. (Musées de Strasbourg) Mauvaise nouvelle pour les musées de StrasbourgÝ: un tableau du célèbre peintre vénitien Canaletto devra être restitué aux héritiers d'une famille juive viennoise spoliée durant la dernière guerre. La Ville voudrait le racheter.
 

L'affaire rappelle celle de L'Accomplissement, le fameux Klimt du musée d'art moderne revendiqué par les descendants d'un antiquaire juif viennois, que Strasbourg finira par restituer en décembre 2000, à l'issue d'un bras de fer juridique qu'elle avait perdu en appel. Sauf que cette fois-ci, à la vue des preuves apportées par les requérants, la municipalité ne conteste absolument pas la légitimité de la demande.
 

Un possible
rachat...

Ý«ÝNous travaillons depuis quelques mois sur cette affaire. Pour moi, il n'y a pas l'ombre d'un doute quant au bien-fondé de cette revendicationÝ: il y a bien eu spoliation d'un bien juif par les nazis. Il faut le restituer aux ayants droit.Ý» Même s'il ne cache pas un serrement de coeur à l'idée de voir partir l'un des petits chefs-d'oeuvre des collections municipales, Robert Grossmann, maire-délégué de Strasbourg, n'entend pas contrer juridiquement cette procédure de restitution engagée par les héritiers américains de l'industriel juif Bernhard Altmann.
ÝSaisis par les nazis, après l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne, les biens de ce grand collectionneur viennois avaient été vendus en juin 1938. Dans le lot, plusieurs paysages du célèbre peintre vénitien Giovanni Antonio Canal, plus connu sous le nom de Canaletto (1697-1768), dont une exquise et lumineuse peinture sur cuivre représentant une Vue de l'église de la Salute depuis l'entrée du Grand Canal (0,45 x 0,60 cm) dans le style qui a fait la renommée de l'artiste.
ÝC'est peu après la guerre, en 1949, que le fameux couple de collectionneurs strasbourgeois, tous deux d'origine badoise, Othon Kaufmann et François Schlageter, en firent l'acquisition. On sait que les deux hommes seront bien plus tard, à l'origine d'une double donation (la première en 1987, la seconde en 1994) de peintures italiennes effectuée au profit de leur ville d'adoption. Le Louvre, en 1984, avait déjà eu droit à leurs largesses. En revanche, c'était bien sous la forme d'un achat que le Canaletto était allé enrichir, en 1987, les collections du musée des beaux-arts. Strasbourg avait déboursé 3,5 MF.
 

Un délai
pour négocier

Ý«ÝLa bonne foi de la Ville était alors indiscutable. Elle ignorait qu'il s'agissait d'un bien juif spolié par les nazisÝ», martèle Robert Grossmann qui rappelle que les compétences des conservateurs du Louvre avaient même été sollicitées avant l'achat du tableau. «ÝL'oeuvre est d'une réelle qualité artistique, souligne de son côté Fabrice Hergott, directeur des musées de Strasbourg. Elle est peinte sur cuivre, ce qui est assez rare chez Canaletto. Elle participe aussi de l'histoire du musée des beaux-arts puisque son achat avait permis de poser les bases des donations Schlageter-Kaufmann.Ý»
ÝLa Direction des Musées de France et le ministère de la culture suivent attentivement cette affaire. «ÝIls entendent en faire un cas exemplaire en matière de restitution des biens juifs spoliés pendant la guerreÝ» poursuit Fabrice Hergott, soucieux de trouver une solution permettant tout de même la conservation de l'oeuvre. L'inclination première de Robert Grossmann serait de négocier le rachat immédiat du Canaletto. «ÝLe problème est de savoir s'il y a moyen de conserver une oeuvre estimée de nos jours à près de quatre millions d'euros.Ý» Soit une cote sept fois supérieure à celle de 1987.
ÝDes négociations ont cependant été entamées dans ce sens entre les deux parties. Les héritiers de Bernhard Altmann, prenant acte des bonnes dispositions de la Ville, seraient même prêts à décompter la somme déboursée en 1987 de la valeur actuelle de l'oeuvre. La facture serait encore de 3,4 M€. Faut-il se tourner vers les mécènes? Certes, une loi récente en favorise l'action. «ÝMais y-a-t-il pour autant des industriels ou des banquiers prêts à se mobiliser en Alsace autour de CanalettoÝ?Ý» s'interroge Robert Grossmann qui hésite à investir des fonds publics dans ce rachat, sans exclure totalement cette éventualité dans le cadre d'un ambitieux montage financier aux multiples partenaires.
ÝDans cette opération "Sauvons notre Canaletto", Strasbourg dispose d'un délai, accordé par les descendants de Bernhard Altmann, d'un an et demi. D'intenses négociations, où interviendront tant le coeur que la raison, sont à prévoir...
 

Serge Hartmann